Dom Ursmer BERLIERE,
Recherches historiques sur la Ville de Gosselies,
Abbaye de Maredsous & J Duculot, Gembloux, 1922, T. I, p. 9 à 15.

(Extrait)*

Première partie. Histoire de la paroisse
Chapitre I, Origine et Patron
(…)
§II. Le patron, S. Jean-Baptiste

“La charte de l’évêque Albéron de Liége, confirmant la fondation du prieuré de Sart en 1125, indique clairement, comme patron de l’église paroissiale de Gosselies, S. Jean-Baptiste, quand elle parle de la « famille de S. Jean» pour désigner ceux qui en dépendaient. S. Jean était-il déjà le patron de l’oratoire existant dès le Xe siècle, il y a lieu de le croire. Si ce vocable avait été choisi pour l’église bâtie par le comte Raoul, sous l’inspiration des moines de Liessies, le fait n’aurait rien d’extraordinaire, étant donné que, dès l’origine de l’ordre bénédictin, S. Jean a été l’objet dans les monastères d’un culte particulier, qu’on peut rattacher à la dévotion qu’avait S.Benoît lui-même pour le saint Précurseur du Christ, en l’honneur duquel il avait érigé un sanctuaire au sommet du Mont-Cassin.

Dès le commencement du XIIIe siècle, on voit que la fête de Jean est à Gosselies un terme pour le paiement de rentes; des actes de 1216 (3) et de 1276 (4) mentionnent cet usage. C’était aussi la date d’entrée en fonction des curés de Gosselies, si l’on en juge par le fait que le curé Martin Delhaise entra en fonction pour la saint Jean 1650; que l’héritier du curé Godefroid Froye, décédé en 1676, Georges Froye, de Ransart, fit un accord le 30 octobre de cette année avec le vicaire de Gosselies, Me Nicolas Henry, pour la desserte de la cure jusqu’à la saint Jean-Baptiste de 1677 (5). On constate que dès le 7 janvier 1677 il y a un nouveau curé, M. Jean Baulduin, mais celui-ci ne vint résider qu’à la saint Jean (6). Ce fut aussi le cas pour M. Herbet en 1683 (7). Cet usage peut encore se constater pour les nominations de M. L.A. Preud’homme en 1763, de M. Ch. Jos. Hamoir en 1791, et de M. P. J. Batis en 1797 (8).

La loi de Gosselies ou le corps des échevins de la ville et franchise, nommée par le seigneur, était aussi renouvelée le 23 juin de chaque année, en la vigile de S. Jean.

Les fêtes de saint Jean Baptiste étaient solennisées à Gosselies. Celle de la Nativité, le 24 juin, était rehaussée par une Procession appelée communément le «Tour Saint-Jean » et par la vénération de la relique du Saint; celle de la Décollation, le 29 août, était jour de congé pour les écoles. La procession a lieu actuellement le dimanche le plus rapproché du 24 juin, le même jour que la « kermesse » ou «ducasse ».

Sans avoir l’ampleur et la vogue des processions de saint Vincent à Soignies, de sainte Rolende à Gerpinnes, de Notre-Dame à Walcourt, de sainte Marie-Madeleine à Heigne, de saint Roch à Ham-sur-Heure, de saint Eloy à Laneffe, le «Tour Saint-Jean » peut être assimilé aux « marches » encore si populaires dans le pays wallon. Il attire nombre de pèlerins étrangers, qui accompagnent le cortège religieux, tandis que d’autres font isolément le «Tour » soit le jour même, soit dans l’octave de la fête. Il n’est pas rare, d’ailleurs, de voir de pieux fidèles implorer le secours de saint Jean dans leurs nécessités et faire, en dehors de la fête et de son octave, le Tour saint Jean en manière de pèlerinage. Ce fut notamment le cas, aux premiers jours de la guerre en août 1914, quand la population, dans un élan de piété, demanda à saint Jean de la protéger contre les dangers et les risques de l’invasion. La foi du peuple a été récompensée, et, tandis que les communes voisines eurent grandement à souffrir des Allemands, Gosselies n’eut à déplorer que quelques morts à la suite de l’explosion d’obus au Faubourg et l’incendie de quelques maisons à la Chaussée de Fleurus.

On serait heureux de pouvoir retrouver l’origine du Tour saint Jean; malheureusement les archives paroissiales ou communales ne nous ont pas conservé de renseignement antérieur au milieu du XVIe siècle.

Cette procession était une fête à la fois civile et religieuse, à laquelle les magistrats et la population de Gosselies prenaient part: les frais en étaient supportés en partie par la ville, en partie par l’église. La plus ancienne mention qui en soit conservée dans les comptes de l’église est de 1560, où l’on trouve consignée une dépense de 46 patars pour la procession à la saint Jean; même dépense en 1570 (9). En 1578, le receveur de l’église inscrit au compte de ses débours «4 florins et 6 deniers pour pain et frommaige donnet le jour saint Jean et après del chervoise à cheux qui font le pourcession » (10).

Cette mention semble bien indiquer une procession hors ville; on ne peut, en effet, se figurer qu’on eût distribué des provisions de bouche pour le temps qu’aurait duré la procession à l’intérieur de la localité. Les mots «et après» offrent un double sens: ils peuvent se rapporter au temps qui suit la procession, au moment de la rentrée en ville, ou bien ils visent une distribution de bière qui suivait celle du pain et du fromage. Et je crois bien que c’est le vrai sens, corroboré par la tradition. Les anciens de Gosselies parlent de l’ancien usage de porter des tonneaux de bière près de la chapelle pour la halte qui s’y fait, et l’on comprend que la Fabrique ait récompensé les autorités et les porteurs en leur offrant de quoi les réconforter et les rafraîchir. Ces agapes champêtres sont encore d’usage (11), mais aujourd’hui sont à charge individuelle des pèlerins.

La ville, de son côté, payait les musiciens et les salves de mousqueterie ou de campes, mais la musique se réduisit d’abord à un tambour, puis à deux. Les comptes communaux en font mention à plusieurs reprises, en 11150, 1651, 1652, 1659, 1661.

1650 « A Jacques Allard pour avoir battu le tambour à la saint Jean-Baptiste et jours suivans 1650 … 26 sous» (12).
1651 « A Jacques Allard et Jean Lonfils pour avoir touché les tambours à la procession le jour saint Jean-Baptiste at esté payé, 24 s. » (13).
Même mention en 1652.
1659 « Si at ledit compteur livré par ordre de Monseigneur le comte de sainte Aldegonde douze livres demi de pouldres à tirer pour honorer la procession le jour saint Jean-Baptiste … 10 fl.» (14).
1661 Il Septante livres de pouldre pour distribuer au peuple de ce lieu pour aller la procession le jour saint Jean-Baptiste et le dimanche en suivant » (15).

Il n’est pas possible de déduire de ces textes si la poudre servait aux campes ou si on la déchargeait avec des fusils au cours de la procession (16).

Etant donné que les processions instituées à une date reculée gardent généralement leur caractère traditionnel, il y a lieu de supposer que l’itinéraire actuel du Tour saint Jean, terme populaire par lequel la procession de la S. Jean est désignée, doit remonter à plusieurs siècles.
Le point central de la procession est, depuis des années, la chapelle saint Jean située dans la campagne entre Piersoux, Hautebise et le Bois Lombus, qui remonte vraisemblablement au XVIIe siècle. Mais il semble bien qu’avant cette époque il y avait en cet endroit une croix, qu’un acte du 21 février 1760 appelle la croix saint Jean et vers laquelle menait un chemin venant de Piersoux (17).

C’était autrefois le chapelain de Gosselies, qui faisait « avec le marguillier la procession du matin en surplis le 24 juin », comme il résulte d’un accord fait, au XVIIIe s., entre le magistrat et Me Jean-Charles Bernard, lorsqu’on lui proposa la place de chapelain et de maître d’école (18). Pendant un bon nombre d’années, dans la première moitié du XIXe siècle, d’après le dire des vieillards, ce fut un ancien bénédictin de saint Gérard, natif de Gosselies, Dom Pierre Fauconnier qui dirigea le Tour traditionnel; après sa mort, ce fut un vicaire qui le présida. En tête du cortège on portait la croix, suivie de la statue de S. Jean; le prêtre était accompagné de quelques chantres et suivi des pèlerins.

A une époque que je n’arrive pas à déterminer, il fut d’usage que la procession fût précédée de cavaliers. Tant que la bourgeoisie gosselienne resta fidèle à la religion de ses pères, ce cortège ne présenta aucun inconvénient, parce que tous avaient l’intention de prendre part à un acte religieux. Mais quand la politique locale prit d’un côté un caractère nettement antireligieux, cette partie civile du Tour saint Jean prêta flanc à des abus. Des cavaliers scandalisèrent par leurs conversations et leur tenue les pèlerins qui entendaient poser un acte religieux. Le clergé ne pouvait tolérer cet abus, qu’il était d’autant plus impuissant à combattre, que la chute du ministère catholique en 1878 avait surexcité les esprits et donné à la politique d’opposition une tendance plus agressive. Il y eut pendant plusieurs années une double procession: le cortège religieux proprement dit et le Tour saint Jean politique. L’évêché de Tournai, averti de ces faits, supprima le 19 juin 1879 la participation du clergé au Tour saint Jean.

La procession avait des racines trop profondément entrées dans le peuple de Gosselies et des environs pour qu’elle fût du même coup supprimée. Les pèlerins restaient fidèles à la pieuse coutume de faire le Tour annuel. La mascarade par laquelle on voulut le rehausser allait lui donner le coup de mort. Certains chefs de l’opposition décidèrent de continuer la procession et de lui prêter leur concours équestre. La veille de la fête, transférée depuis le Concordat au dimanche le plus rapproché du 24 juin, on allait prendre dans la chapelle saint Jean la statue du Saint qu’on déposait dans un estaminet fréquenté par les membres de ce parti. Le jour de la fête, on la plaçait sur un char avec quelques petites filles vêtues de blanc, et le cortège laïque se dirigeait par l’itinéraire traditionnel vers la Chapelle saint Jean, dont on faisait le tour. Après un arrêt destiné à des agapes un peu bruyantes, on se remettait en route pour rentrer au café susdit.

Le clergé s’abstint de parler en chaire d’une cérémonie qui devenait d’année en année plus grotesque. Le nombre des cavaliers alla en diminuant, celui des pèlerins également, et la procession semblait devoir prendre fin en 1884, au grand regret des fidèles. Les opposants avaient conscience du rôle ridicule auquel ils s’étaient prêtés, et les pèlerins préféraient faire isolément leurs dévotions, plutôt que de participer à un acte qui était une insulte à leur piété.

Grâce au zèle des membres du cercle ouvrier saint Jean-Baptiste et de leur président, M. Nestor Favresse, la procession fut sauvée et reprit son cachet religieux. Une commission, présidée par M. le doyen Mathot, élabora un règlement qui fut soumis à l’approbation épiscopale (13 juin 1884).

Les cavaliers devaient s’engager à assister à la messe basse qui serait célébrée à 5 heures du matin, à ne point fumer ou boire pendant tout le parcours. Le départ aurait lieu à 6 heures, et à la chapelle saint Jean, il y aurait un arrêt d’une demi-heure, pendant lequel les participants au cortège pourraient prendre leur collation ou rafraîchissement (19).

A partir de l’année 1884, la procession reprit donc son caractère religieux. Le cortège quitte l’église vers 6 1/2 heures, précédé de la croix, de la statue du saint patron, d’un prêtre et du clerc et se dirige par la grand’ place, les rues des Collines (ancienne rue du Pont de Leuze), de saint saint Roch, de saint Jean vers la chaussée de Nivelles qu’on suit jusqu’au passage à niveau du chemin de fer. De là, la procession s’engage par les Marlaires vers Pont-à-Migneloux. On coupe alors la chaussée de Bruxelles et l’on gagne Piersoulx et la chapelle St-Jean. De là on remonte vers Mienson, et l’on suit le chemin qui se dirige vers Hodiarbois, qu’on laisse à gauche pour prendre la direction de l’ancien Moulin Tahon, d’où l’on rentre à Gosselies par le faubourg de Charleroi.

Le clergé vient alors à la rencontre du cortège qu’il rejoint au Carrosse et rentre à l’église par la rue du Marais, après un court arrêt à la chapelle de N.-D. de Grâce, puis par la grand’ place et le Tienne de l’église. Les pèlerins peuvent alors assister à la grand’ messe paroissiale et vénérer la relique du saint Précurseur.

Au milieu de l’église, sur un piédestal, entourée de cierges; se trouve la statue du saint patron, devant laquelle est exposé le reliquaire de saint Jean-Baptiste. C’est un ancien usage qui est déjà renseigné dans les comptes communaux de 1627-1628, où on lit que la relique était confiée dans l’église à la garde d’un paroissien le jour de la fête et le lendemain, assurément en vue de satisfaire la dévotion des fidèles et des pèlerins:
« A Gille Dandois pour avoir demoré le jour saint Jean-Baptiste et le lendemain emprès la relique Monsieur S. Jean … deux sous» (20).

Le reliquaire de S. Jean fut réparé en 1650-1651 (21). Il fut sauvé à la Révolution française et remis par M. Grégoire, mambour de l’église, à M. le curé Delobel, qui l’examina et y replaça les reliques le 26 octobre 1806 (22). Le reliquaire actuel, de cuivre doré, a la forme d’un ostensoir de style gothique.

Le maître-autel de l’église est dédié au saint Précurseur, et, dans l’ancienne église, il était enrichi d’un groupe, en grandeur naturelle, représentant le Baptême de Notre-Seigneur. L’église possède deux statues du Saint: celle qui, depuis des années déjà, est portée en procession, et une autre, moderne, de grandeur naturelle, qui est adossée au pilier de gauche du transept, du côté de l’autel de la Sainte Vierge.

L’usage a persisté de venir « servir» saint Jean-Baptiste, qu’on invoque particulièrement pour les maux de tête et en faveur des enfants qui souffrent de cauchemars. On récite fréquemment sur eux l’Evangile saint Jean (23).

Le Cercle ouvrier, fondé en 1876, s’est placé sous le patronage de saint Jean-Baptiste et contribue à raviver le culte du saint patron dans la paroisse”.

“La charte de l’évêque Albéron de Liége, confirmant la fondation du prieuré de Sart en 1125, indique clairement, comme patron de l’église paroissiale de Gosselies, S. Jean-Baptiste, quand elle parle de la « famille de S. Jean» pour désigner ceux qui en dépendaient. S. Jean était-il déjà le patron de l’oratoire existant dès le Xe siècle, il y a lieu de le croire. Si ce vocable avait été choisi pour l’église bâtie par le comte Raoul, sous l’inspiration des moines de Liessies, le fait n’aurait rien d’extraordinaire, étant donné que, dès l’origine de l’ordre bénédictin, S. Jean a été l’objet dans les monastères d’un culte particulier, qu’on peut rattacher à la dévotion qu’avait S.Benoît lui-même pour le saint Précurseur du Christ, en l’honneur duquel il avait érigé un sanctuaire au sommet du Mont-Cassin.

Dès le commencement du XIIIe siècle, on voit que la fête de Jean est à Gosselies un terme pour le paiement de rentes; des actes de 1216 (3) et de 1276 (4) mentionnent cet usage. C’était aussi la date d’entrée en fonction des curés de Gosselies, si l’on en juge par le fait que le curé Martin Delhaise entra en fonction pour la saint Jean 1650; que l’héritier du curé Godefroid Froye, décédé en 1676, Georges Froye, de Ransart, fit un accord le 30 octobre de cette année avec le vicaire de Gosselies, Me Nicolas Henry, pour la desserte de la cure jusqu’à la saint Jean-Baptiste de 1677 (5). On constate que dès le 7 janvier 1677 il y a un nouveau curé, M. Jean Baulduin, mais celui-ci ne vint résider qu’à la saint Jean (6). Ce fut aussi le cas pour M. Herbet en 1683 (7). Cet usage peut encore se constater pour les nominations de M. L.A. Preud’homme en 1763, de M. Ch. Jos. Hamoir en 1791, et de M. P. J. Batis en 1797 (8).

La loi de Gosselies ou le corps des échevins de la ville et franchise, nommée par le seigneur, était aussi renouvelée le 23 juin de chaque année, en la vigile de S. Jean.

Les fêtes de saint Jean Baptiste étaient solennisées à Gosselies. Celle de la Nativité, le 24 juin, était rehaussée par une Procession appelée communément le «Tour Saint-Jean » et par la vénération de la relique du Saint; celle de la Décollation, le 29 août, était jour de congé pour les écoles. La procession a lieu actuellement le dimanche le plus rapproché du 24 juin, le même jour que la « kermesse » ou «ducasse ».

Sans avoir l’ampleur et la vogue des processions de saint Vincent à Soignies, de sainte Rolende à Gerpinnes, de Notre-Dame à Walcourt, de sainte Marie-Madeleine à Heigne, de saint Roch à Ham-sur-Heure, de saint Eloy à Laneffe, le «Tour Saint-Jean » peut être assimilé aux « marches » encore si populaires dans le pays wallon. Il attire nombre de pèlerins étrangers, qui accompagnent le cortège religieux, tandis que d’autres font isolément le «Tour » soit le jour même, soit dans l’octave de la fête. Il n’est pas rare, d’ailleurs, de voir de pieux fidèles implorer le secours de saint Jean dans leurs nécessités et faire, en dehors de la fête et de son octave, le Tour saint Jean en manière de pèlerinage. Ce fut notamment le cas, aux premiers jours de la guerre en août 1914, quand la population, dans un élan de piété, demanda à saint Jean de la protéger contre les dangers et les risques de l’invasion. La foi du peuple a été récompensée, et, tandis que les communes voisines eurent grandement à souffrir des Allemands, Gosselies n’eut à déplorer que quelques morts à la suite de l’explosion d’obus au Faubourg et l’incendie de quelques maisons à la Chaussée de Fleurus.

On serait heureux de pouvoir retrouver l’origine du Tour saint Jean; malheureusement les archives paroissiales ou communales ne nous ont pas conservé de renseignement antérieur au milieu du XVIe siècle.

Cette procession était une fête à la fois civile et religieuse, à laquelle les magistrats et la population de Gosselies prenaient part: les frais en étaient supportés en partie par la ville, en partie par l’église. La plus ancienne mention qui en soit conservée dans les comptes de l’église est de 1560, où l’on trouve consignée une dépense de 46 patars pour la procession à la saint Jean; même dépense en 1570 (9). En 1578, le receveur de l’église inscrit au compte de ses débours «4 florins et 6 deniers pour pain et frommaige donnet le jour saint Jean et après del chervoise à cheux qui font le pourcession » (10).

Cette mention semble bien indiquer une procession hors ville; on ne peut, en effet, se figurer qu’on eût distribué des provisions de bouche pour le temps qu’aurait duré la procession à l’intérieur de la localité. Les mots «et après» offrent un double sens: ils peuvent se rapporter au temps qui suit la procession, au moment de la rentrée en ville, ou bien ils visent une distribution de bière qui suivait celle du pain et du fromage. Et je crois bien que c’est le vrai sens, corroboré par la tradition. Les anciens de Gosselies parlent de l’ancien usage de porter des tonneaux de bière près de la chapelle pour la halte qui s’y fait, et l’on comprend que la Fabrique ait récompensé les autorités et les porteurs en leur offrant de quoi les réconforter et les rafraîchir. Ces agapes champêtres sont encore d’usage (11), mais aujourd’hui sont à charge individuelle des pèlerins.

La ville, de son côté, payait les musiciens et les salves de mousqueterie ou de campes, mais la musique se réduisit d’abord à un tambour, puis à deux. Les comptes communaux en font mention à plusieurs reprises, en 11150, 1651, 1652, 1659, 1661.

1650 « A Jacques Allard pour avoir battu le tambour à la saint Jean-Baptiste et jours suivans 1650 … 26 sous» (12).
1651 « A Jacques Allard et Jean Lonfils pour avoir touché les tambours à la procession le jour saint Jean-Baptiste at esté payé, 24 s. » (13).
Même mention en 1652.
1659 « Si at ledit compteur livré par ordre de Monseigneur le comte de sainte Aldegonde douze livres demi de pouldres à tirer pour honorer la procession le jour saint Jean-Baptiste … 10 fl.» (14).
1661 Il Septante livres de pouldre pour distribuer au peuple de ce lieu pour aller la procession le jour saint Jean-Baptiste et le dimanche en suivant » (15).

Il n’est pas possible de déduire de ces textes si la poudre servait aux campes ou si on la déchargeait avec des fusils au cours de la procession (16).

Etant donné que les processions instituées à une date reculée gardent généralement leur caractère traditionnel, il y a lieu de supposer que l’itinéraire actuel du Tour saint Jean, terme populaire par lequel la procession de la S. Jean est désignée, doit remonter à plusieurs siècles.
Le point central de la procession est, depuis des années, la chapelle saint Jean située dans la campagne entre Piersoux, Hautebise et le Bois Lombus, qui remonte vraisemblablement au XVIIe siècle. Mais il semble bien qu’avant cette époque il y avait en cet endroit une croix, qu’un acte du 21 février 1760 appelle la croix saint Jean et vers laquelle menait un chemin venant de Piersoux (17).

C’était autrefois le chapelain de Gosselies, qui faisait « avec le marguillier la procession du matin en surplis le 24 juin », comme il résulte d’un accord fait, au XVIIIe s., entre le magistrat et Me Jean-Charles Bernard, lorsqu’on lui proposa la place de chapelain et de maître d’école (18). Pendant un bon nombre d’années, dans la première moitié du XIXe siècle, d’après le dire des vieillards, ce fut un ancien bénédictin de saint Gérard, natif de Gosselies, Dom Pierre Fauconnier qui dirigea le Tour traditionnel; après sa mort, ce fut un vicaire qui le présida. En tête du cortège on portait la croix, suivie de la statue de S. Jean; le prêtre était accompagné de quelques chantres et suivi des pèlerins.

A une époque que je n’arrive pas à déterminer, il fut d’usage que la procession fût précédée de cavaliers. Tant que la bourgeoisie gosselienne resta fidèle à la religion de ses pères, ce cortège ne présenta aucun inconvénient, parce que tous avaient l’intention de prendre part à un acte religieux. Mais quand la politique locale prit d’un côté un caractère nettement antireligieux, cette partie civile du Tour saint Jean prêta flanc à des abus. Des cavaliers scandalisèrent par leurs conversations et leur tenue les pèlerins qui entendaient poser un acte religieux. Le clergé ne pouvait tolérer cet abus, qu’il était d’autant plus impuissant à combattre, que la chute du ministère catholique en 1878 avait surexcité les esprits et donné à la politique d’opposition une tendance plus agressive. Il y eut pendant plusieurs années une double procession: le cortège religieux proprement dit et le Tour saint Jean politique. L’évêché de Tournai, averti de ces faits, supprima le 19 juin 1879 la participation du clergé au Tour saint Jean.

La procession avait des racines trop profondément entrées dans le peuple de Gosselies et des environs pour qu’elle fût du même coup supprimée. Les pèlerins restaient fidèles à la pieuse coutume de faire le Tour annuel. La mascarade par laquelle on voulut le rehausser allait lui donner le coup de mort. Certains chefs de l’opposition décidèrent de continuer la procession et de lui prêter leur concours équestre. La veille de la fête, transférée depuis le Concordat au dimanche le plus rapproché du 24 juin, on allait prendre dans la chapelle saint Jean la statue du Saint qu’on déposait dans un estaminet fréquenté par les membres de ce parti. Le jour de la fête, on la plaçait sur un char avec quelques petites filles vêtues de blanc, et le cortège laïque se dirigeait par l’itinéraire traditionnel vers la Chapelle saint Jean, dont on faisait le tour. Après un arrêt destiné à des agapes un peu bruyantes, on se remettait en route pour rentrer au café susdit.

Le clergé s’abstint de parler en chaire d’une cérémonie qui devenait d’année en année plus grotesque. Le nombre des cavaliers alla en diminuant, celui des pèlerins également, et la procession semblait devoir prendre fin en 1884, au grand regret des fidèles. Les opposants avaient conscience du rôle ridicule auquel ils s’étaient prêtés, et les pèlerins préféraient faire isolément leurs dévotions, plutôt que de participer à un acte qui était une insulte à leur piété.

Grâce au zèle des membres du cercle ouvrier saint Jean-Baptiste et de leur président, M. Nestor Favresse, la procession fut sauvée et reprit son cachet religieux. Une commission, présidée par M. le doyen Mathot, élabora un règlement qui fut soumis à l’approbation épiscopale (13 juin 1884).

Les cavaliers devaient s’engager à assister à la messe basse qui serait célébrée à 5 heures du matin, à ne point fumer ou boire pendant tout le parcours. Le départ aurait lieu à 6 heures, et à la chapelle saint Jean, il y aurait un arrêt d’une demi-heure, pendant lequel les participants au cortège pourraient prendre leur collation ou rafraîchissement (19).

A partir de l’année 1884, la procession reprit donc son caractère religieux. Le cortège quitte l’église vers 6 1/2 heures, précédé de la croix, de la statue du saint patron, d’un prêtre et du clerc et se dirige par la grand’ place, les rues des Collines (ancienne rue du Pont de Leuze), de saint saint Roch, de saint Jean vers la chaussée de Nivelles qu’on suit jusqu’au passage à niveau du chemin de fer. De là, la procession s’engage par les Marlaires vers Pont-à-Migneloux. On coupe alors la chaussée de Bruxelles et l’on gagne Piersoulx et la chapelle St-Jean. De là on remonte vers Mienson, et l’on suit le chemin qui se dirige vers Hodiarbois, qu’on laisse à gauche pour prendre la direction de l’ancien Moulin Tahon, d’où l’on rentre à Gosselies par le faubourg de Charleroi.

Le clergé vient alors à la rencontre du cortège qu’il rejoint au Carrosse et rentre à l’église par la rue du Marais, après un court arrêt à la chapelle de N.-D. de Grâce, puis par la grand’ place et le Tienne de l’église. Les pèlerins peuvent alors assister à la grand’ messe paroissiale et vénérer la relique du saint Précurseur.

Au milieu de l’église, sur un piédestal, entourée de cierges; se trouve la statue du saint patron, devant laquelle est exposé le reliquaire de saint Jean-Baptiste. C’est un ancien usage qui est déjà renseigné dans les comptes communaux de 1627-1628, où on lit que la relique était confiée dans l’église à la garde d’un paroissien le jour de la fête et le lendemain, assurément en vue de satisfaire la dévotion des fidèles et des pèlerins:
« A Gille Dandois pour avoir demoré le jour saint Jean-Baptiste et le lendemain emprès la relique Monsieur S. Jean … deux sous» (20).

Le reliquaire de S. Jean fut réparé en 1650-1651 (21). Il fut sauvé à la Révolution française et remis par M. Grégoire, mambour de l’église, à M. le curé Delobel, qui l’examina et y replaça les reliques le 26 octobre 1806 (22). Le reliquaire actuel, de cuivre doré, a la forme d’un ostensoir de style gothique.

Le maître-autel de l’église est dédié au saint Précurseur, et, dans l’ancienne église, il était enrichi d’un groupe, en grandeur naturelle, représentant le Baptême de Notre-Seigneur. L’église possède deux statues du Saint: celle qui, depuis des années déjà, est portée en procession, et une autre, moderne, de grandeur naturelle, qui est adossée au pilier de gauche du transept, du côté de l’autel de la Sainte Vierge.

L’usage a persisté de venir « servir» saint Jean-Baptiste, qu’on invoque particulièrement pour les maux de tête et en faveur des enfants qui souffrent de cauchemars. On récite fréquemment sur eux l’Evangile saint Jean (23).

Le Cercle ouvrier, fondé en 1876, s’est placé sous le patronage de saint Jean-Baptiste et contribue à raviver le culte du saint patron dans la paroisse”.

Notes

* Le texte intégral de Dom Berlière est respecté ici. Seule une numérotation continue a été substituée pour les notes infrapaginales.
(1) APG, farde 14. (2) APG, farde 15.
(3) Analectes, t. IX, p. 284.
(4) Cartulaire de Lobbes, f. 88.
(5) AEM. (Ancien) Notariat de Brabant, liasse 6205.
(6) APG. Actes notariés; Reg. pastoral 4, p. 4; Etat civil II, p. 131. M. Baul¬duin fut aussi nommé après concours.
(7) Reg. pasto 4, p. 4.
(8) D’après les registres de baptêmes.
(9) AEM, liasse de 32 cahiers de tailles, commençant en 1547, compte de l’église.
(10) AE.M, liasse de 15 comptes commençant en 1553. La « chervoise» ou cervoise (cerevisia) est l’ancien nom de la bière.
(11) C’était fort modeste en comparaison de ce que les Nivellois se payaient pendant la procession de sainte Gertrude, lorsqu’on arrivait au Chêne. Les menus en ont été conservés; rien d’étonnant que les processions de Nivelles aient joui d’une si grande vogue (voir Annales de la Société archéologique de Nivelles, t. V, 1895, pp. 128-133). On peut constater que les menus des repas qui accompagnaient la procession de la confrérie des Damoiseaux à Valenciennes, étaient aussi copieux que ceux de Nivelles (J. DEWEZ, Histoire de l’Abbaye de St-Piene d’Hasnon. Lille, 1890, p. 170). Mons connaissait aussi cet usage (L. DEVILLERS, La procession de Mons dans Annales du Cercle archéol. de Mons, t. l, 1858, pp. 117, 134-135). La longueur des processions obligeait nécessairement les participants à prendre quelque nourriture. Mais un usage modéré dégénéra facilement en abus et l’on voit les synodes diocésains protester contre les abus, notamment à l’occasion des processions des Rogations dans les diocèses de la Haute Italie (DOM. CAMBIASO, Rogazioni e litanie genovesi antiche. Genova, 1916, p. 15-16).
(12) ACG. Comptes communaux l, p. 404.
(13) Ib., p. 416.
(14) Ib., f. 539v, 543v.
(15) Ib . vol. Il, f. 13.
(16) On constate en 1682 un usage analogue à Kerkom lors de la procession de S. Martin (Hagelands geschiedsschriften, t. IV, p. 90).
(17) AEM. Transports, 1759-68, f. 48.
(18) APG. Farde 16.
(19) APG. Farde 16.
(20) ACG. Comptes communaux 1, f. 218.
(21) Ib., l, f. 392.
(22) APG. Reg. pastoral 4, p. 405.
(23) En 1893 a paru une petite brochure: Les dévôts de saint Jean et le Tour saint Jean. Bruxelles, Société belge de librairie, 24 pp. in-32, due à la piété de Mme la Baronne Drion du Chapois, désireuse de contribuer à relever le culte du patron de la paroisse et d’éclairer la piété des fidèles en leur faisant connaître la vie et les vertus du Précurseur du Christ.